Qu’est-ce qu’un nudge ? En bref, c’est une incitation douce visant à modifier le comportement d’une personne pour son bien. Mais c’est en fait bien plus que ça. Dans une nouvelle série d’articles, je vous invite à découvrir ces « incitations douces ». Les « nudges », vous en avez certainement entendu parler, en particulier dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19. Peut-être à tort, d’ailleurs, parce que les nudges sont, comme nombre de notions populaires et controversées, assez mal définis et appréhendés.
Alors pour tout comprendre sur les nudges, je vous propose de parcourir ensemble l’ouvrage de Richard Thaler (et de Cass Sunstein), le prix Nobel d’économie à l’origine du concept, Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness, paru en 2008 (littéralement en français – Nudge : améliorer les décisions concernant la santé, les finances et le bonheur ; mais traduit, et c’est important, par – Nudge, comment inspirer la bonne décision).
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Sommaire
Des nudges à la cantine
Prenons pour notre exemple Christophe, responsable des cantines des écoles à Chantecoq. Son métier est très varié. Il est chargé, entre autres, de l’achat des denrées, de la conception des menus et même de l’agencement des selfs. D’ailleurs, il a récemment remarqué dans ses tableaux Excel que certains mets semblent plus prisés que d’autres, d’une cantine à l’autre.
En creusant davantage, il s’est aperçu que ces fluctuations n’étaient pas dues à des variations de goûts ou de populations dans les écoles. C’est l’agencement des plats dans les selfs qui fait la différence. Autrement dit, les assiettes mieux disposées, ou plus faciles d’accès, sont un peu plus choisies. Bien sûr, les haricots restent bien moins populaires que les frites, mais ils sont plus consommés lorsqu’ils arrivent plus vite dans la file d’attente.
Influencer les comportements : une question d’architecture de choix
Christophe réfléchit alors à sa découverte. Ainsi, il serait possible d’influencer la consommation des aliments en fonction de la mise en scène et de l’organisation du self. Pas de façon déterminante, mais même à la marge, Christophe sait que ses décisions touchent une population importante.
Le pouvoir de Christophe, c’est d’être un architecte de choix. En fonction de l’objectif qu’il va poursuivre, il va pouvoir impacter la consommation des aliments. Exactement comme un chef de rayon qui va mettre les marchandises qu’il veut écouler à hauteur de regard en tête de gondole, et les autres en bas, si possible au fond du linéaire où le néon est claqué.
À la poursuite du bien-être : l’essence du nudge
Mais la nourriture des enfants est un sujet très clivant, et le travail de Christophe est très compliqué. D’un côté, la municipalité de Chantecop aimerait bien faire des économies tout en valorisant les circuits courts. De l’autre, les parents inventent chaque jour un nouvel interdit alimentaire. Comment les mettre d’accord ?
Si les spécialistes ne se prononcent pas sur la moralité des endives et ne savent pas faire du bio pas cher, ils affirment avec certitude qu’une alimentation équilibrée permet d’éviter beaucoup de maladies à l’âge adulte. Ils disent aussi que s’il est illusoire de lancer la prohibition des frites, inciter à manger plus de fruits et de légumes est bénéfique à terme pour la santé, et améliore le bien-être général.
Et la bonne nouvelle, c’est que la municipalité tout comme les parents d’élèves sont d’accord pour élever de futures adultes en bonne santé. Donc Christophe décide de changer l’agencement de ses selfs, en se basant sur ceux qui consomment plus de fruits et de légumes. Au bout d’un an, il a réussi à augmenter la consommation de végétaux de 15% sur l’ensemble des cantines de la commune.
C’est un peu ça, l’essence du nudge : agir à la marge sur un objectif consensuel de long terme, tout en ménageant les susceptibilités antagonistes. Pas moins, mais pas tellement plus qu’une affaire de politique publique, ce que nous détaillerons dans un prochain article sur le paternalisme libertarien.