ChatGPT : des opportunités et un paquet de problèmes à venir

Rare photo de ChatGPT prise par Midjourney confirmant le paradoxe du singe savant d’Émile Borel

La dernière itération de GPT-3, emballée dans une interface conversationnelle plus abordable appelée ChatGPT, démarre sans aucun doute la révolution promise depuis des années — peut-être des décennies — par l’intelligence artificielle. À défaut d’être encore correctement compris et exploités, ChatGPT ou Dalle-E, par exemple, sont des outils amusants que tout le monde peut utiliser pour se faire une idée. Tandis que des pionniers enthousiastes déchiffrent les usages qui ne manqueront pas de changer en profondeur métiers et pratiques professionnelles, de nombreuses questions restent en suspens.

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Dans les milieux avertis, ChatGPT constitue la technologie de rupture tant attendue depuis à peu près la montée en puissance de Google, qui a totalement modifié notre rapport à Internet il y a une vingtaine d’années.

De quoi parle-t-on ? Pour faire très simple, ChatGPT est la partie accessible d’un modèle gigantesque de deep learning fondée sur des informations récupérées sur Internet.

Autrement dit, ChatGPT est un automate, plus qu’une intelligence à proprement parler, capable de prédire les mots et les concepts moyens à sortir à partir d’une requête, en se basant sur ce qu’il a déjà lu.

Pour Dalle-E ou Midjourney, c’est la même chose qu’avec du texte : l’image est générée à partir d’une requête qui fait, en quelque sorte, la moyenne de ce qui a été vu auparavant par l’intelligence artificielle sur une quantité phénoménale d’images.

Disponibles en ligne et gratuits pour quelques essais, tout à chacun peut se faire une idée de la puissance de ces outils, très amusant pour peu que l’on parvienne à maîtriser l’art des requêtes. Au point que cet aspect, savoir interroger correctement une IA, pourrait peut-être devenir prochainement un nouveau métier issu de cette innovation.

Car comme toutes les ruptures, ChatGPT va dynamiter le paysage : le champ des utilisations envisageables est possiblement infini et apportera, sans aucun doute, des bienfaits inattendus et inestimables. En revanche, et c’est une habitude avec la nouvelle économie, des tas de problèmes sont devant nous, et il faudra bien les résoudre pour ne pas risquer un coup d’arrêt brutal à cette technologie émergente.

ChatGPT : des usages en pagaille en attendant des applications professionnelles stabilisées

Il ne vous a pas échappé que depuis quelques semaines, chaque jour apporte son lot d’innovations commises avec ChatGPT, souvent sous l’angle d’un usage amusant ou à l’inverse anxiogène. On ne compte plus les poèmes étranges, œuvres littéraires à la qualité variables, ou fakes générés au kilomètre malgré les garde-fous prévus par les ingénieurs d’OpenAI, la société qui conçoit ChatGPT. Petit tour d’horizon chez les gens qui utilisent des lettres.

ChatGPT : panique injustifiée chez les rédacteurs

Premiers concernés par ChatGTP : les gens qui travaillent sur les textes. Et ils ont des raisons de s’inquiéter. Après tout, ne sont-ils pas voués au chômage, à plus ou moins court terme, remplacés par GTP-4 ou 5 qui saura produire un style original aussi singulier que celui de Michel Houelbecque ou de Natacha Polony ?

Pas du tout. En tout cas, pas tant que le modèle d’intelligence artificiel reposera sur le deep learning. En effet, la production de ChatGPT ne correspond pas réellement à une œuvre originale, puisqu’elle est la réponse moyenne attendue — selon un algorithme très complexe — à une requête.

Donc, dans notre cas présent, ChatGTP pourrait écrire un éditorial qui ressemblerait à un de ceux de Natacha Polony dans Marianne, mais l’essence de la démarche informatique sera d’imiter quelque chose qui s’en rapproche, pas une nouvelle création.

Un détail ? Certes, mais pas que. Si l’illusion peut fonctionner pour une audience, disons, très grand public, elle ne tient pas pour des personnes averties qui sont les principaux destinataires des écrits : des lecteurs dans un domaine professionnel donné, ou des amateurs réguliers de journaux ou de romans, par exemple, voient immédiatement les tournures de phrases lourdes ou les approximations rappelant une mauvaise copie de partiel qui a fait l’impasse.

Non, pour les rédacteurs, ChatGPT est plutôt une bonne nouvelle et fera avancer la façon de construire un texte.

Ainsi, il peut être utile d’interroger ChatGPT sur un sujet pour circonscrire son futur propos. Une requête du type « Quels sont les enjeux de ceci ou cela ? » peut permettre de gagner un temps précieux et n’est, après tout, que l’évolution d’une question posée habituellement avant d’écrire un article sur un thème ou un autre sur… Google.

ChatGPT : retour de boomerang à prévoir pour les scolaires et les étudiants

Si les rédacteurs finiront par s’appuyer correctement sur l’IA pour enrichir leur travail, comme l’ont fait les traducteurs d’ailleurs, est-ce que la jeunesse va connaitre un âge d’or rédactionnel avec ChatGPT ?

Oui, mais pour quelques semaines seulement. En effet : si d’audacieux plaisantins rendent des copies écrites par l’IA, cela ne va pas durer longtemps.

La meilleure nouvelle, pour les enseignants et les apprenants, c’est la fin des devoirs à la maison. Puisqu’il est impossible de contrôler le travail fait en dehors de l’établissement éducatif, autant passer à autre chose plutôt que de se lancer dans une couteuse et irréaliste guerre au plagiat.

La seule façon d’évaluer les enseignements, ce sera en classe ou en devoir sur table. Et pourquoi pas pour les travaux en établissements, apprendre à se servir d’une intelligence artificielle pour balayer les contours d’un exposé sur l’Égypte, ou d’avoir un état des lieux précis des centaines de thèses anciennes et en général indisponibles qui ont déjà traité votre sujet.

Les applications professionnelles de ChatGPT : le retour de la croissance de la productivité ?

Si un secteur attend des miracles de l’IA, c’est bien celui des entreprises (et des administrations d’ailleurs), qui s’autorisent tous les espoirs en matière de productivité.

Imaginez : le retour de Clippy, le trombone — mignon, mais inutile — d’Office 1997 dopé par ChatGPT :

  • « Clippy, j’ai du mal avec cette macro Excel, peux-tu m’aider à ceci ou cela ? ».
  • « Clippy, mon texte est trop long. Peux-tu retirer les xxx signes les moins utiles ? ».

C’est peut-être l’intention de Microsoft, qui vient de mettre 10 milliards de dollars dans OpenAI, et à qui on souhaite un sort plus heureux que Skype ou Nokia, aussi financés par Redmond.

Au-delà de ces exemples triviaux, le potentiel de ChatGPT est tel qu’il peut tout à la fois donner un coup de fouet à l’économie traditionnelle, que créer un nouveau pan entier, grâce à des applications et des usages qui sont encore à inventer.

ChatGPT : le énième avatar de l’innovation nihiliste

Comme à chaque fois avec la nouvelle économie, tout ne va pas être rose, et le destin de ChatGPT est relativement prévisible : rupture, course en avant tête baissée, intervention du législateur puis, avec un peu de chance, gestion de la rente. En cette fin du mois de janvier 2023, ChatGPT a déjà fait la rupture et amorce la fuite en avant qui va tout démolir sur son passage. Au-delà des effets économiques, certainement souhaitables puisque l’innovation est un moteur de croissance colossal, les incidences collatérales comme juridiques restent des impensés, et il est possible que cela fasse partie du business plan.

Une intelligence artificielle dans la moyenne de l’intelligence d’Internet

Car la force de ChatGPT est également son plus gros problème : le volume, la qualité et l’origine des contenus employés pour l’entrainer. Ce n’est pas un mystère : OpenAI utilise les ressources immenses d’Internet pour le deep learning de son intelligence artificielle. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la qualité de ce matériel est incertaine, même pour des sources réputées sures, comme la Wikipédia.

Est-il encore utile d’ouvrir le débat sur la fiabilité et le sérieux de l’encyclopédie ? Considérant à quel point elle est devenue d’un usage courant et une autorité, il serait prudent de répondre par la positive. Des gens bien informés le pensent. Mais même un simple examen sur l’onglet « discussion » d’un article, quand bien même dit de qualité, fait dans certains cas un peu peur tant l’étalage d’empoignades stériles fait regretter celles plus feutrées des comités scientifiques…

Bref, on rejoint par là le vieux débat sur la fiabilité de sources, qui est d’ailleurs bien antérieur à Internet. Si la Wikipédia a des limites, ou que Google se contente d’organiser la hiérarchie des sites sur ses pages de résultats, le lecteur peut se faire une opinion sur ce qu’il consulte et la provenance du contenu.

À l’inverse, ce que va répondre ChatGPT dans une agréable discussion, reste assez opaque. Aucune source ne s’affiche, puisque c’est la nature même du modèle de « fusionner », ou « moyenner » une réponse qui est fonction de sa base de données. Lorsqu’il s’agit d’un haïku fantaisiste, ce n’est pas bien méchant. Lorsqu’on demande des explications sur la théorie des cordes, cela peut raisonnablement passer puisque les sciences « durs » font — normalement — consensus. Sur de la sociologie ou de l’histoire, au hasard, il serait imprudent de se borner à ce que l’IA va sortir.

Deux exemples de la dernière décennie illustrent cette difficulté. L’épisode où des experts SEO français avaient convaincu Google qu’Adriana Karembeu était une pizza aux anchois. Puisqu’une IA reste pour l’heure un automate, il n’y a aucune raison de ne pas parvenir à l’entrainer de travers et qu’elle restitue, voire amplifie l’erreur.

La deuxième est la tentative de Microsoft de développer une IA qui s’est révélé rapidement raciste, sexiste et complotiste au bout de quelques heures d’échanges avec des internautes vandales. Certes, il y a eu là une intention de nuire, caractérisée par la volonté de transformer cette IA en blague de mauvais goût, mais, au fond, à quoi ressemblerait une IA exempte de biais ? Est-ce que cela serait souhaitable d’ailleurs ? Quelle est, par exemple, la bonne réponse pour une IA sur le droit de grève à la SNCF ? Qui paramètre cette réponse ?

Reste enfin le problème de la fraicheur des informations. Pour l’heure, OpenAI explique que ChatGPT ne connait rien après 2021. La base de données s’arrête à ce moment-là. En clair, ChatGPT ne connait pas encore la guerre en Ukraine (sauf celle de 2014) ni l’issue de la crise du Covid. Un des enjeux à venir sera certainement de parvenir à brancher le deep learning sur de l’information en flux.

Et pour l’instant, ceux qui produisent ce flux, ce sont des êtres humains, et cela amène un deuxième volet de gros problèmes.

Des difficultés juridiques monumentales en perspectives

Comme d’autres entreprises de la nouvelle économie — Uber ou Lime par exemple — OpenAI sort son produit et se pose les questions juridiques ensuite. Ou peut-être même pas. Pourtant il y a, dès à présent, deux graves problèmes : ce qui sort de ChatGPT, et ce qui y rentre.

Habillement, OpenAI botte en touche sur le sujet de la propriété intellectuelle des images générées par son service, ou des textes, renvoyant à la responsabilité de l’utilisateur. Une bonne affaire ? Pas tant que ça : générer du contenu « à la façon » d’un artiste ne disposant plus d’ayant droit, pourquoi pas.

En revanche, quid d’un hypothétique huitième roman d’Harry Potter qu’aurait fait écrire une armée de fans à ChatGPT ? Est-ce un plagiat ? Une œuvre originale ? Nul doute que les juristes n’ont pas fini de s’interroger sur ces sujets qui ne vont sûrement pas tarder à émerger.

Reste que le plus choquant est le processus deep learning lui-même. Pour entrainer un modèle, il faut énormément de contenus. Si la Wikipédia est en Creative Content, est-ce que tous les contenus utilisés sont aussi libres de droits ? Rien n’est moins sûr : dans le monde si brillant de la Silicon Valley, l’interprétation extensive du faire use est vraiment très large.

Comme d’habitude, l’idée est sans doute de prendre de vitesse ayants droits et législateurs, surtout en l’absence d’instance de régulation internationale suffisante. Et puis, l’opinion publique n’est-elle pas du côté du progrès ? Ces photos générées par IA de chatons astronautes sont tellement irrésistibles…

En attendant d’y voir plus clair, il serait surprenant que des contre-feux ne soient pas allumés pour tenter de canaliser les aspects les plus sauvages de cette incroyable révolution : une balise refusant le scraping des sites Internet par les IA serait déjà une première étape.

Pour en savoir plus

Intelligence artificielle: faut-il craindre la révolution ChatGPT? (lefigaro.fr)
ChatGPT does a Thomas Schelling poem – Marginal REVOLUTION
ChatGPT : l’intelligence artificielle au service du complotisme ? (francetvinfo.fr)
Deep Learning : 3 choses à savoir – MATLAB & Simulink (mathworks.com)
CNET’s AI-Written Articles Are Riddled With Errors (gizmodo.com)
ChatGPT can tell jokes, even write articles. But only humans can detect its fluent bullshit | Kenan Malik | The Guardian
Are human translators becoming obsolete? – Taipei Times
Why Technology Will Not Replace Professional Translators (forbes.com)
Lyon. Triche: 50% des copies de ses étudiants rédigées par l’intelligence artificielle ChatGPT (leprogres.fr)
La fin des devoirs à la maison? Les universités et grandes écoles ripostent à l’arrivée de ChatGPT – Le Figaro Etudiant
Can generative AI’s stimulating powers extend to productivity? | Financial Times (ft.com)
Microsoft to Invest $10 Billion in OpenAI, the Creator of ChatGPT – The New York Times (nytimes.com)
Find a Growth Hacker for Your Startup (startup-marketing.com)
Fiabilité, pseudonymat, sources : Wikipédia et l’intelligence des foules (radiofrance.fr)
Le fondateur de Wikipedia estime que son site n’est pas fiable (phonandroid.com)
Discussion:Guerre de Vendée — Wikipédia (wikipedia.org)
pizza aux anchois – Recherche Google
Tay, l’intelligence artificielle raciste et sexiste de Microsoft (latribune.fr)
The scary truth about AI copyright is nobody knows what will happen next – The Verge