Jean-Luc Mélenchon : l’analyse rhétorique de son discours à La Défense

L’analyse rhétorique du discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon, le 5 décembre dernier à La Défense, confirme la méthode et les thèmes chers au tribun qui se présente pour la troisième fois à l’élection présidentielle. Dans une allocution d’un peu plus d’une heure, l’homme politique construit, dans un style assez argumentatif, un univers et une vision propices à l’ancrage de son héritage : le programme l’Avenir en commun.

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Une rhétorique originale : le logos pour construire un univers plein de pathos

L’analyse rhétorique du discours de Jean-Luc Mélenchon trahit sans difficulté le début de la carrière professionnelle de l’homme politique, lorsque ce dernier travaillait dans l’enseignement et le journalisme.

Un format et une sonorité assez proche du journalisme engagé

Tout d’abord, le recours assez marqué à des verbes statifs et déclaratifs (36 et 23 % du total des verbes) témoigne du souhait de l’orateur de décrire avec minutie un décor dans lequel il déploiera ses propositions.

Ainsi, plutôt que de construire une démonstration qui se fondrait sur un vécu commun avec son public, encore qu’on suppose que son auditoire est déjà habitué à ses arguments, Jean-Luc Mélenchon prend le temps et le soin de créer des images dans l’esprit de son audience.

Par exemple, de nombreux marqueurs (des locutions, comme des adverbes) de temps (« dorénavant », « désormais », « bientôt », « jamais », etc.) et de lieux (« où », « ici », « vers », « partout », etc.) viennent émailler ses phrases. Et au regard de leur variété et leur richesse, il n’y a pas de doute sur la solide formation littéraire du politicien.

Autrement dit, Jean-Luc Mélenchon écrit bien et parle bien, utilise un champ lexical complexe mais sait le rendre accessible. C’est une figure professorale qui manie parfaitement le registre du logos pour renforcer sa crédibilité, son ethos.

Une mise en scène et des thèmes très spécifiques

Mais c’est peut-être bien le littéraire qui l’emporte sur le journaliste, car après tout nous parlons d’une réunion de campagne, et les thèmes choisis tout comme leur scénarisation en atteste clairement.

Ainsi, s’il est possible de remarquer le recours à de nombreux adjectifs numériques (près de 18 % du total des adjectifs), ce qui est devenu incontournable pour les personnels politiques voulant démontrer leur crédibilité, plus de 43 % relèvent eux de la subjectivité.

On trouve, par exemple, « le prétendu service public », « le bagage des guerres insensées des États-Unis d’Amérique », « une agriculture sauvage » ou encore « une société invivable ». Nous sommes là clairement dans le registre du pathos, outil très puissant pour susciter des sentiments chez le public, et faire monter le suspens en attendant de présenter des solutions.

Deux thèmes abordés sont particulièrement intéressants pour comprendre la construction du discours du candidat à l’élection présidentielle de 2022.

Tout d’abord le premier : promoteur de la VIe République et d’une transformation importante de la société, Jean-Luc Mélenchon utilise fréquemment la notion de « gens ». Celle-ci vient d’ailleurs en tête des mots les plus employés, avec par exemple le « peuple », des « personnes » ou « tout le monde ».

Ensuite, tant pour parvenir à son objectif ambitieux et parce que coutumier des luttes politiques, Jean-Luc Mélenchon n’inscrit pas ses propositions in abstracto. Au contraire, celles-ci sont bien en concurrence d’autres projets. C’est donc pourquoi il n’utilise pas moins de 64 références à la politique avec « extrême droite », « démocratie », « syndicalisme » ou encore « capitalisme ».

Très cohérent avec son programme, il martèle ses fondamentaux auprès de sa base et décline ses thèses dans l’espace qu’il a créé. C’est l’essence de l’exercice du meeting politique.

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L’ethos du tribun au service du projet ou comment parvenir à faire candidater un programme

Dans notre première partie, nous avons pu dégager une tactique originale consistant à mobiliser le logos, du moins celui de Jean-Luc Mélenchon, pour bâtir un univers empli de pathos, dans lequel l’homme politique peut évoluer à son aise et mettre en scène sa candidature.

Mais pour parvenir à un très bon discours, la rhétorique d’Aristote nous enseigne que la dimension de l’ethos est tout aussi importante que celle du logos et du pathos. L’équilibre entre les trois est fondamental. Comment notre tribun s’en est-il sort sur ce point-là ?

Là encore, l’expérience de Jean-Luc Mélenchon lui permet de concevoir un procédé intéressant, à un moment complexe de son parcours politique. En effet, une troisième candidature n’est pas un acte anodin, et la question de la succession du fondateur de la France Insoumise est plus ou moins ouverte. Dès lors, que faire pour assurer une crédibilité qui ne sera pas cantonnée à un dernier baroude d’honneur ?

Il semble bien que l’analyse rhétorique du discours tende à démontrer que Jean-Luc Mélenchon essaie de se positionner en passeur. En fin de compte, la vraie candidature, pour lui, c’est celle de son œuvre, le programme l’Avenir en commun.

Ainsi, l’usage des pronoms est assez révélateur. Si 14 % d’entre eux concernent le « je », le « nous » monte à 17 %. C’est même le « vous » qui l’emporte, avec 18,5 % du total des pronoms utilisés dans ce discours.

Indiscutablement, peut-être aussi par tactique politique, Jean-Luc Mélenchon veut la jouer collectif pour s’assurer de la transmission de son héritage. Ainsi, il entretient une certaine confusion entre son ethos, et celui de son programme, qui existe depuis 2012 (l’Humain d’abord). L’un et l’autre s’alimentent pour se renforcer l’un et l’autre.

Autrement dit, Jean-Luc Mélenchon laisse entendre qu’il est le simple porte-parole d’un programme politique, et c’est cette humilité assez originale dans son cas — on se souvient de l’épisode de « la République, c’est moi ! » — qui va regonfler une crédibilité forcément déclinante avec un commencement d’effacement au profit d’une autre « génération », notion qui revient d’ailleurs sept fois dans son discours.

Le meeting de Jean-Luc Mélenchon 5 décembre 2021 à La Défense : un bon discours ?

Jean-Luc Mélenchon mérite bien sa réputation de tribun. Sa maitrise de l’art oratoire se manifeste une fois de plus dans un discours, celui du lancement de sa troisième campagne à l’élection présidentielle de la République française. L’analyse textuelle confirme expérience et savoir-faire en matière de rhétorique. Pour ses adversaires politiques qui ne se hisseront pas à son niveau, l’exercice du discours sera difficile.